Retour aux sources [Erya, Havane]

J’avais été rappelé au service de la Dame de Karadras. J’avais mis de côté plus que j’avais abandonné mes recherches jusque-là infructueuses d’une Camouflée dont j’étais éperdument tombé amoureux, Laëla. Se battre et voyager aux côtés d’une Ombre n’étaient pas de tout repos. Surtout quand l’Ombre est un jeune ami qui… ne sait pas trop s’y prendre avec l’élue de son cœur. Une femme au caractère bien trempé. Ce qui n’était pas pour me rappeler celui de Laëla. L’agitation qui animait le pays s’était calmée. Mais pour combien de temps ? Il y avait anguille sous roches. Y aurait-il un coup d’État qui se préparerait contre la Dame Naris ? J’avais donc reprit ma guitare et ma flûte.

Un jour de marché, à la capitale. Quoi que de mieux pour tendre l’oreille aux murmures du peuple ? Bien que ma première profession soit musicien, je ne devais pas oublié que la seconde avait une importance particulière. Espion au service de la Dame, qui aurait cru ? Certainement pas moi.

Il était temps que je reprenne du service. Un peu moins de quatre mois d’absences et ma réputation (que j’avais mis beaucoup de temps à construire d’ailleurs) était déjà terni. Ma fierté en prit un coup. Les rivaux ne manquaient pas à Ilandras. Je devais faire mon grand retour à la capitale sinon, ils m’auraient déjà enterré dans les combes de l’oubli. Les gens avaient arrêtés leurs activités, à l’écoute. Ici, la règle était simple, l’audace peut pousser un musicien à se « donner en spectacle », mais à ses risques et périls car il pouvait aussi bien être acclamé que hué, recevoir des fleurs et une pluie de pièce que des fruits pourris. Dans un cas comme dans l’autre, ça égayait de façon singulière la capitale.

J’humectais mes lèvres, puis porta le bec de ma flûte aux bords de celle-ci. Mélodie de jours passés, oubliés. Je promenais mon regard sur la foule, peu des visages m’étaient inconnus, mais peu d’entre eux m’étaient sympathique aussi. Je crus voir la dulcinée de Mike. Que faisait-elle ici ? Ma curiosité était piquée au vif. J’avais toujours du mal à croire l’attention que j’arrivais à capter. Mon physique n’y était pas étranger. Et cela m’ennuyai beaucoup. Pourquoi ne pas apprécié la musique pour ce qu’elle était et non pour la tête de son interprète ?

J'étais à la capitale, Ilandras. Il y avait tant de monde, je sentais tous ces regards braqués sur moi, j'étais mal à l'aise. Pourtant, ce n'était certainement pas moi que l'on regardais mais les diverses produits comme les bagues que j'observais avec un intérêt particulier.
J'en volais quelques unes puis les cachais, discrètement. Enfin, c'est ce que je pensais, mais quelqu'un m'avait vue, le regard braqué sur moi. Il gardait pourtant le silence. Je le dévisageait un moment puis, voyant que cet homme allait parler, sans doute pour crier "Au voleur!", je m'enfuis sans demander mon reste. Les cris fusèrent, ça y est, j'étais pourchassée. Je les écoutaient, criant comme des ânes. Comme si crier allait les aider! Je continuais, sautant au dessus des toits rapprochés. Mes poursuivants, restant au sol, étaient de plus en plus nombreux.
Je ne m'en inquiétais pas plus que cela, je m'étais déjà sortie de situations bien plus dangereuses. Ce n'est pas quelques villageois incompétents qui allaient m’arrêter. Soudain je glissais, me retrouvant nez à nez avec des cavaliers.

Je me rappelais de mes amis, de ces cavaliers sans cœur, les ayant embrochés. Les corps ensanglantés. Les cadavres putrides. Une rage froide me submergea, Ils allaient payer. Je voyais, à la place de ces marchands, le visage des soldats. Je pris un poignard de chaque main. La vengeance m’appelait. Alors que je découpais, arrachais, sectionnais, et enfin tuais tout ces hommes criant simplement justice, un rire sauvage me pris, tout d'un coup. Il ne restait rien. Juste des cadavres dans un bain de sang. Je laissais ces corps là, puis partis, je n'aurais pas pu supporter la vue de ces cadavres d'innocents plus longtemps.

Je marchais de nouveau au milieu du marché, cependant je ne volais rien, j'avais assez d'or et de nourriture pour toute la semaine. J'observais les tableaux d'un vieux peintre que je connaissais depuis longtemps lorsque j'entendis une musique. Elle était si belle. Je fermais les yeux puis, écoutant avec attention le son de la flûte, mes pas me guidèrent jusqu’à ce musicien. Je n'ouvrais toujours pas les yeux, me délectant de ce son. Je me fichais de la personne jouant cet air, de la foule inquiétante tout autour de moi. Je n'entendais que cette musique étrange qui me paraissais magique.

La chaleur étouffante et écrasante couvrait Irlandas la capitale de Karadas. Chevreuil sur le dos, Havane humectait les étals remplir de produits en tout genre. Mais dès que son regad se détourna pour observer la petite étiquette où était inscrit le prix, elle se raviva vite. Elle s'engagea dans une ruelle quelconque, le doux son d'une flûte lui montant aux oreilles. Elle avait envie de faire de même, mais le poids de la bête la rappela vite à l'ordre. Les gens commençaient à s'agglutiner autour du musicien, une chose futile aux yeux de la rebelle : "Seul la mélodie compte." Ramenant rapidement son bandeau sur son nez, elle s'engagea dans une nouvelle ruelle, elle aussi bondée. Elle pénètra dans l'enseigne d'un boucher, et déposa son gibier sur le comptoir.

Elle avait quitté le camp sous les yeux de ses compatriotes, un peu secoués par cette nouvelle. Seulement, elle voulait en savoir plus sur la situation de Karadas, changer d'air. Elle venait juste d'arriver, après deux jours de marche.

Elle ressorti de la boutique déçue : le boucher lui avait acheté l'animal pour un bon prix, malheureusement pas assez pour s'offrir une nuitée dans une auberge de la ville. Elle soupira et remercia le commerçant. Le brouhaha était plus intensif, et aggacée, la rebelle espérait tout bonnement qu'ils arrêtent de braire. Un vol, évidemment. Un des nombreux qui courent en ce moment. Une fois les hurlements dissipés, elle sortit sa flûte qu'elle porta à sa bouche, et plaça ses mains à sa gauche.

Elle joua doucement les premières notes, puis plus à l'aise, se laissa emporter. Havane continuait à parcourir les rues, rouvrant de temps à autres les yeux. Elle tournoyait, emportée par la mélodie. Elle mettait tout son cœur dans la musique, puissance dans son souffle et dans son morceau. Les gens lui cédaient le passage, la laissait passer.

Elle se retrouva vite dans la même ruelle que le précédent musicien. Elle ne s'en rendit pas compte, et continuait de tourner, danser au rythme de sa flûte. Oui, elle était heureuse. Les dernières notes approchaient, petit à petit. La jeune fille finalisa son morceau, ouvrit les yeux. Des applaudissements se firent entendre, plus nombreux que prévu. Les mêmes gosses qui l'a suivaient lui tournaient autour, en criant "Encore, encore !". Havane souriait. Mais de plus prombs applaudissements se firent entendre, plus familiers, mais quelconques aux yeux des autres. Elle observa la foule, cherchant du regard l'individu. Allait-il se manifester ? La douce mélodie du musicien se fit entendre, tout le monde écoutait et elle comprit.

Les notes flottaient encore dans l'air, j'avais les yeux fermés. A peine eu-je terminé qu'un tout autre air se fit entendre, joyeux, vivant. Je plissais les sourcils. Quelle impolitesse! ça me dépassait totalement! Depuis quand les collègues empêchaient-ils à l'auditoire de faire part de son appréciation? Où ce serais-un petit nouveau bien audacieux? Toujours est-il qu'en sept ans de métier, c'était la première fois que ça m'arrivait. La coutume voulait un temps de silence au début et à la fin d'un morceau. Sauf que mon drôle avait préféré enchaîné directement après... Ah!! Les valeurs se perdent.

En un air et voilà l'attention de "mon auditoire" détourné. Ce qui ne m'étais encore jamais arrivé. Je n'aurais jamais pensé mon retour si difficile, en réalité j'avais affaire à une rude concurrence, pensais-je un sourire aux lèvres. Pour tout dire. Un affront, une provocation, un défi. Je n'aurais peut-être pas dû mais je le pris comme tel. Non, je n'allais pas me laisser voler mon public d'un moment par un impertinent quand même. Même si je devais reconnaître qu'il ne se débrouillait pas trop mal. L'air était joliment gaie, joyeux, mais par moment, le flûtiste soufflait trop fort. Ce n'était pas vraiment harmonieux du coup. Ce que je trouvais dommage. L'air prit fin. Silence, j'applaudis suivit d'autre. J'avais bien apprécié. Je n'allais pas me laisser faire. J'émis une note courte, l'attention se reporta sur moi. Silence de nouveau. Mon regard croisa celui d'une belle brune, aux yeux d'un bleu saisissant. Je lui fit un clin d'oeil complice et donna le premier souffle. La danse des saisons, tel que je l'avais nommée. Harmonie douce et légère, puis une variante, changement de rythme, plus levé, joyeux, léger qui montait crescendo. Ralentissement du rythme, decrescendo, le ton se fit plus grave et solennel.